En francais: Les somnatistes
 
LES SOMNATISTES
 
Bureau Archipel choisit comme terrain de jeu un vide dans l’histoire de l’art. Il y avait eu les Surréalistes, mouvement dont les principales activités s’achevèrent autour de l’année 1939 ; les années 50 virent l’apparition des Situationnistes. Mais juste après la seconde guerre mondiale, il y avait une brèche, et c’est dans ce hiatus que Bureau Archipel identifia un espace vierge entre les mouvements artistiques, un no man’s land historique en quelque sorte. Entre 1944 et 1949, années durant lesquelles politiquement, sociologique- ment et en termes de recherches artisti- ques au fond  tout était possible pendant un court moment, Bureau Archipel « découvrit » un groupe d’artistes jusque là inconnu appelé Les Somnatistes. Endossant le rôle de conservateurs et au moyen d’une « exposition historique », Bureau Archipel nous introduit dans le travail et dans les vies des cinq membres du Groupe : Moritz v. Bamsell, Georges Latours, Esther Weinstein, Wyllie Gor- ringer et Mia Moren. Le nom du Groupe  « Les Somnatistes » provient du mot latin somnare qui signifie dormir, rêver. Les Somnatistes étaient préoccupés par la question de savoir «  où se situe réellement le ça durant le temps du rêve » et quelle sorte de force à vrai dire permet au ça de réémerger dans cet état. Les Somnatistes s’intéressaient à cet état parti- culier d’indifférence affective, extirpé des influences de la vie éveillée, que constitue e sommeil. Cet état quasi-idéal était perçu par eux comme un moyen d’accé- der à des champs d’associations d’idées sans influences au-delà des actes volontaires du monde éveillé. Au moyen de photographies, de poèmes, de dessins, d’objets trouvés et même d’un manifeste à part entière, Bureau Archipel donne à voir quelques-unes des lignes majeures qui marquèrent la transition entre le Surréalisme et le Situationnisme. À la façon dont  un vrai Somnatiste aurait pu le faire, Bureau Archipel fouille à l’intérieur des nombreuses brèches, hiatus et espaces interstitiels que cette période avait à offrir. Bureau Archipel fut fondé en tant que société d’édition en 1992 par Sabine Siegfried et Christoph Willumeit. ■
 
 
Extrait du catalogue de l’exposition Art in Hamburg Today II, mai à août 2006, Galerie der Gegenwart, Kunsthalle, Hambourg. Le texte a été écrit par le conservateur en chef Christine Von Oehsen.
 
Selon des sources historiques, Les Somnatistes étaient un groupe de cinq artistes/créateurs, en activité entre 1944 et 1948 environ à Zurich en Suisse. Les Somnatistes peuvent être décrits comme une sorte de communauté artistique, ses membres travaillant ensemble sur divers projets artistiques. Le groupe ne visait pas l’exposition de ses œuvres ni toute autre forme de reconnaissance populaire ; ils n’avaient pas pour intention non plus de vendre leur travail. Aucun engagement significatif dans les cercles artistiques du Zurich d’après guerre n’est mentionné où que ce soit. Il apparaît même que les Somnatistes ont activement cherché à dissimuler leurs traces après la mort d’un membre du Groupe en 1949. Ceci serait en accord avec la critique que le Groupe formulait au sujet de l’idée de travail ar- tistique. Le nom du Groupe a trait au motif du sommeil et du rêve (le cycle de l’éveil et de l’endormissement) qui est fortement récurrent dans leurs travaux et dans leurs écrits théoriques et poétiques et peut servir de métaphore au cycle éternel de l’existence. Aux marges « indistinctes », dans les espaces de transition entre des processus répétitifs, Les Somnatistes es- péraient trouver des expressions involon- taires et irrésolues de ce qu’ils appelaient « l’indicible ». D’après eux, les séries, répétitions et ombres qui accompagnent les processus répétitifs produisent des lapsus et des fautes qui sont la matière de l’expression artistique. Dans leurs écrits, le Groupe insistait sur son indépendance vis-à-vis des philosophies existentialistes aussi bien que vis-à-vis du mouvement surréaliste. Le Groupe était opposé aux tendances quelque peu naïves des Surréalistes et à leurs interprétations freudiennes des rêves en tant que pure source de créativité et même de « vérité ». Pour eux, utiliser l’art comme moyen d’accomplir des objec- tifs politiques — ainsi qu’Aragon et Breton l’avaient fait avec le mouvement surréaliste — était tout à fait hors de propos. Si quelqu’un devait décrire les tendances philosophiques du Groupe, en tenant compte de la rareté des œuvres laissées derrière lui, il devrait nécessairement dire qu’une compréhension très discrimina- toire des idées Nietzschéennes rejoint le type de « mysticisme pragmatique » que l’on peut trouver dans les écrits de Nicolas Cusanus : il existe quelque chose au-delà du langage et du savoir, mais on ne peut pas en parler. Les œuvres et les documents présentés à l’exposition de Hambourg sont les seuls à être connus à ce jour. La plupart des œuvres se rattachent à trois performances/expositions/activités durant toute l’année 1947, ainsi qu’aux écrits théoriques et poétiques qui se rap- portent à ces activités riches.
 
Le matériau de l’exposition provient de la propriété des familles Preiser (Londres), St. John (Inverness, Ecosse), Benjedid (Paris), ets’y ajoute un objet prêté par le Musée de l’Alpinisme (Chamonix, France). ■
 
 
 
 
Le « bureau cosmique des paris » est une performance des Somnatistes réalisée au printemps 1947. Celle-ci a consisté à louer un magasin vide dans une rue animée du centre de Zurich comme base au bureau cosmique des paris. Les gens entraient et prenaient des paris contre eux-mêmes. Ils recevaient alors un bulletin/ticket de pari individuel qu’ils devaient ramener au magasin après avoir tenu (ou non) leurs paris respectifs. Quelques paris sur les horaires, les lieux, les actions et les rêves générèrent des résultats intéressants : les parieurs faisaient et racontaient des choses absurdes — des choses qu’ils n’auraient jamais racontées ou faites autrement — afin
de remporter leurs paris contre eux-mêmes. Selon un extrait d’un des carnets de Moritz v. Bamsell, la question intéressante derrière tout cela était : « Les parieurs avaient-ils inventé leur propre vie ? Avaient-ils réellement vécu une autre vie ou étaient-ils temporairement apparus dans une autre vie lorsqu’ils faisaient des choses qu’ils n’auraient jamais faites, s’il n’y avait eu le pari ? »
 
 
Moritz v. Bamsell. Nuances. Vers 1946-1947. Cartes postales anciennes.